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17/2/2015
CARÊME
Le jeûne dans la religion et dans les Evangiles
Le jeûne fait partie des pratiques les plus communes à toutes les religions. Il repose, en général, sur la conviction qu’il faut affranchir l’âme du corps, afin qu’elle puisse se rapprocher de la divinité. La chair est embourbée dans la matière, elle empêche l’esprit de s’élever vers le sacré. On trouve cette conception, déjà poussée à l’extrême, dans le Phédon de Platon, où le lecteur voit Socrate se réjouir de sa mort, qui vient enfin délivrer son âme de sa défroque mortelle (1).
Chez les religieux, les mystiques en particulier ont toujours réservé au jeûne une place de choix parmi les macérations qu’ils infligent à leur corps, obstacle à l’union de l’âme avec Dieu. Dans les premiers siècles du christianisme, les pères du désert s’érigèrent en champions de l’abstinence. C’était à qui battrait les records. Saint Hilarion ne mangeait que quinze figues par jour; saint Pior se contentait d’un petit pain et de cinq olives! Pourtant ils n’arrivèrent pas à la cheville de Syméon le stylite. Le saint homme, qui perchait habituellement sur une colonne à vingt mètres d’altitude, se fit murer pendant quarante jours avec deux pains – auxquels il ne toucha pas! De siècle en siècle, les saints ont continué à s’adonner à ce genre de privations, jusqu’à nos jours. De 1928 jusqu’à sa mort en 1981, Marthe Robin, pour ne citer qu’un cas, se nourrit exclusivement de l’eucharistie.
Dans le christianisme, la mortification de la chair passe pour d’autant plus méritoire qu’elle unit le dévot à la souffrance du Christ sur la croix. Mais, en tant que pratique purificatrice, elle est présente dans de nombreuses religions. Chez les musulmans, le ramadan est usuel pour tous les croyants. Les ascètes, pour leur part, jeûnent dans bien d’autres circonstances, par exemple pour des périodes de dix jours passées en prière dans les mosquées. En Inde, le jeûne est censé récurer le corps des actions qui ont entaché son existence, les yogis s’y livrent parfois jusqu’à la mort. Quant aux bouddhistes, ils voient dans le jeûne un moyen essentiel pour accéder à l’illumination (2).
Au sein de ce concert d’adeptes du jeûne, on s’étonnerait à bon droit de la position du judaïsme. Dans la Torah, en effet, le seul jeûne prescrit est le jeûne d’un jour pour le Yom Kippour (3), la fête du Grand Pardon, aucun autre. À l’époque du Christ, les gens ne jeûnaient que dans cette seule occasion. Seuls des groupes de réformateurs observaient des jeûnes plus fréquents. Parmi eux, les Évangiles mentionnent les disciples de Jean-Baptiste et les pharisiens, dont ils nous disent qu’ils jeûnaient beaucoup (4). Jésus lui-même et ses disciples s’en tenaient manifestement à l’usage général du jeûne unique pour Yom Kippour, puisque, dans les passages que nous évoquons, les partisans de Jean et les pharisiens, reprochent aux douze de boire et manger, tandis qu’eux se serrent la ceinture. On n’imagine pas que Jésus ait fait diète de son côté alors que ses équipiers, eux, faisaient bombance ! On peut donc légitimement penser que Jésus, en tant que Juif pieux, respectait le jeûne du Kippour, mais pas plus (5).
À l’appui de cette opinion, il est possible de produire le passage de l’Évangile de Marc (6), où Jésus rejette vigoureusement les pratiques purificatrices concernant la nourriture, que les pharisiens respectaient scrupuleusement pour éviter des souillures. Ces rites, en effet, n’étaient pas davantage requis par la Torah. Il s’agissait de règles supplémentaires que les pharisiens prétendaient imposer à la suite de traditions orales. Jésus, pour sa part, campe strictement sur les prescriptions de la Torah (7), estimant que les usages additionnels ne sont que des fardeaux inutiles et cruels pour le peuple (8). Il taxe tous les pharisiens d’hypocrisie, et il condamne sans appel celui qui se flatte de jeûner deux fois par semaine dans la célèbre parabole du pharisien et du publicain qui montent au temple pour prier (9).
Sans doute ne s’agit-il pas dans son esprit de jeter l’anathème sur le jeûne, mais de le limiter, d’éviter qu’il soit une charge et, lorsqu’on s’y adonne, d’en faire un acte discret et festif selon la recommandation de l’Évangile de Mathieu (10). En tout cas, s’il y a bien une conception du jeûne qui est radicalement étrangère à la pensée tant biblique qu’évangélique, c’est celle des religieux qui prétendent débiliter le corps en vue d’une extase anorexique. La dichotomie âme-corps, selon une division bien-mal, n’existe pas dans la tradition biblique. L’âme dans la Bible n’est autre que la vie qui anime le corps, elle en est inséparable. Plus de corps, plus d’âme. S’il y a un salut de l’être humain après la mort, il ne peut concerner que la personne entière, corps et âme, revivifiée dans la résurrection par l’esprit de Dieu.
Du coup, le jeûne évangélique ne peut s’envisager que dans le respect du corps. Brimer le corps, c’est insulter l’œuvre de Dieu. Si l’on veut jeûner, il faut que ce soit comme un hommage rendu à ce corps que nous maltraitons allègrement par nos excès de nourritures, de boissons, d’addictions en tout genre. Un repas léger et sain accompagné d’un bon verre de vin est un jeûne parfait. Et l’on jeûne mieux encore si on jeûne ensemble, joyeusement, autour d’une belle table, comme le font si bien les musulmans chaque soir du ramadan.
Armel Job

(1) Platon, Phédon, 64a et sq.
(2) Sur les phénomènes corporels du mysticisme, Xavier YVANOFF, La chair des anges, Seuil, 2002
(3) Lévitique 23:26-32 et Nombres, 29, 7-11
(4) Et ils lui dirent : Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils souvent et font-ils des prières, pareillement aussi ceux des pharisiens, mais les tiens mangent et boivent ? (Luc, 5, 33) – Alors les disciples de Jean viennent à lui, disant : Pourquoi, nous et les pharisiens, jeûnons-nous souvent, et tes disciples ne jeûnent pas ? (Math, 9, 14)
(5) Le jeûne de quarante jours et quarante nuits, qui lui est attribué par les Évangiles au début de sa mission, dans sa retraite au désert, est manifestement symbolique. Il fait référence au séjour des Hébreux pendant quarante ans au désert avant d’entrer dans la Terre promise.
(6) Les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. (…) Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. » Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » (Marc,7)
(7) A ce sujet, voir l’analyse de Daniel BOYARIN, Le Christ juif, Cerf, 2013. Les Galiléens, comme Jésus et ses disciples, observaient un judaïsme conservateur, contrairement aux Judéens, comme les pharisiens ou les disciples de Jean, enclins à de multiples réformes.
(8) À vous aussi, malheur, docteurs de la loi ! car vous chargez les hommes de fardeaux difficiles à porter (Luc, 11,45) - Ils lient des fardeaux pesants et difficiles à porter, et les mettent sur les épaules des hommes (Math., 23, 4)
(9) Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui–même : “ Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers. ” (Luc, 18, 11-12)
(10) Mais toi, quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage, en sorte qu’il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui dans le secret. (Math, 6,17-18)

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