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16/10/2013
Le Père Pierre Ruquoy pleure la mort de Daliso
A plusieurs reprises, sur ce site, vous avez lu des articles consacrés à Pierre Ruquoy. Un prêtre originaire du diocèse qui a vécu en République Dominicaine avant de s'installer en Zambie. Dans son presbytère, il a installé des enfants laissés à la rue après le décès de leurs parents, le plus souvent morts du sida. Les familles sont dans une telle situation de pauvreté qu'elles ne peuvent les prendre en charge. Le presbytère est devenu très vite trop petit. Avec les jeunes, il a construit des maisons pour les accueillir. Il cultive pour les nourrir, a ouvert un magasin... Il y a quelques jours, le Père Pierre Ruquoy a vécu un drame: la mort de Daliso. Il témoigne de sa peine, de son espérance.
Il était arrivé ici avec quatre autres petits garçons. Il faisait partie du premier groupe d'orphelins accueillis dans cette maison. Depuis sa naissance, il luttait de toutes ses forces contre le virus du Sida. Il s'appelait Daliso, nom qui signifie ''Bénédiction''. Après avoir partagé avec nous le maïs de chaque jour pendant plus de quatre ans, une nuit sans lune, il s'est envolé vers la maison des anges. Il est décédé dans la hutte de sa grand mère, en pleine brousse. Quelques heures après avoir reçu la triste nouvelle, nous nous sommes mis en route pour Mututu, le village de la famille de Daliso.
En me voyant arriver, une vieille dame se mit à hurler: ''Daliso, toi Daliso! Réveille-toi! Ton papa Pierre est ici pour te voir!... Daliso, s'il te plait! lève-toi!'' Mais Daliso restait immobile... La hutte aux murs de terre et au toit d'herbes sèches semblait trembler devant les cris de douleur de la grand mère, étendue sur le sol, à côté du corps de l'enfant qui reposait sur une natte de paille. Alors je ne pus résister plus longtemps et je me mis à sangloter à côté de la pauvre grand mère inconsolable. A ce moment, plus ou moins 25 enfants de notre famille des Fleurs de Soleil entrèrent aussi dans la hutte. La pièce débordait de gens... La douleur inondait l'ambiance.... Mes 25 petits enfants commencèrent à chanter: ''Marie, maman des pauvres, regarde notre tristesse. Ecoute nous!'' Leur chant était rythmé par des gémissements et des sanglots... Après un bon moment de prières, nous avons quitté la hutte et nous nous sommes assis sous un manguier qui réussissait tant bien que mal à survivre à la sécheresse, dans la cour de la maison.
Derrière la hutte, un groupe de voisins fabriquaient le cercueil avec quelques vieux morceaux de planches ramassés dans les alentours. Dans un coin de la cour, plusieurs femmes préparaient de la purée de maïs et quelques poulets donnés généreusement par les paysans du coin pour offrir à tous ceux qui allaient passer la nuit auprès du défunt. Quelques femmes restaient dans la hutte pour accompagner la grand mère tandis que des dizaines d'hommes papotaient discrètement dans un autre coin de la cour. Chaque fois qu'un visiteur pénétrait dans la hutte mortuaire, on entendait les cris de la grand mère et des autres femmes.
A l'ombre du manguier, je contemplais ce spectacle et je ne pouvais m'empêcher de penser aux veillées funèbres vécues dans las villages du sud de la République Dominicaine. Comme dans ce pays des Caraïbes, le lieu où le mort est veillé avait été complètement vidé de ses meubles... J'avais l'impression de me trouver de nouveau à Cabeza de Toro, sous la tonnelle fabriquée à la hâte pour veiller un défunt: les mêmes coutumes, la même atmosphère, les mêmes croyances! Alors me vint à l'esprit le décret récemment promulgué par le tribunal constitutionnel de la République Dominicaine, selon lequel des milliers de descendants d'haïtiens nés dans ce pays sont dépouillés de leur nationalité. Je pensai: ''Ah! Si les dominicains et les dominicaines pouvaient être ici et voir ce que je vois, ils se sentiraient membres de la grande famille africaine et ils n'accepteraient jamais une loi qui transforme en étrangers leurs propres frères et sœurs!''
Soudain la nuit tomba et plusieurs petits feux de camp illuminèrent la cour. Pendant toute la nuit, des dizaines de personnes sont restées là, à veiller. Le lendemain matin, une petite table et deux chaises furent installées dans la cour. Quatre hommes entrèrent dans la hutte pour prendre le cercueil et le transporter devant la table: comme en République Dominicaine, ils firent sortir le défunt avec les pieds devant. Selon les croyances populaires, cette pratique permet d'éviter que l'esprit du mort ne revienne hanter les habitants de l'endroit.
Et la messe commença. les tambours résonnèrent. J'avais l'impression que la photo de Daliso déposée sur le cercueil dansait au rythme des chants. Plus de cent personnes, surtout des jeunes, suivaient avec attention mes paroles:
''Vous savez que Daliso est mon fils chéri?''
''Oui! Nous le savons!'' me répondit l'assemblée.
''C'est pourquoi il n'est pas facile pour moi de parler. Je voudrais seulement vous raconter ce que Daliso m'avait confié il a quelques années. J'essayais de le préparer peu à peu à la mort. Alors je lui avais dit:
'Daliso, tu sais qu'un jour je vais mourir? Et tu sais que toi aussi, un jour, tu vas mourir''
L'enfant me regarda avec ses grands yeux noirs et me répondit:
'Ce n'est pas vrai! Tu ne vas pas mourir et moi non plus je ne mourrai pas. Quand les gens s'aiment, ils ne meurent pas!'
Là où l'Amour brille, la mort n'existe pas car Dieu est l'Amour et la Vie!''

A la fin de la messe, tout le monde a défilé devant le cercueil ouvert afin de rendre un ultime hommage à Daliso. Au milieu de la misère et de la mort, la Vie brillait comme le Soleil à midi. De la maison des anges, Daliso continue à nous aider à construire ici une grande famille où l'on partage tout. De là-haut, ce petit prince noir nous aide à comprendre que l'essentiel est invisible pour les yeux et que l'Amour ne meure jamais. En fin de compte Daliso était fait pour voler.... pour voler bien loin.... pour voler au-delà des étoiles!
“Nous ne voulons pas, frères, vous laisser dans l'ignorance au sujet des morts, afin que vous ne soyez pas dans la tristesse comme les autres, qui n'ont pas d'espérance.”
(1 Thessaloniciens 4, 13)
Pierre Ruquoy, cicm



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