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Abraham Gilson (1741-1809), moine-peintre de l’abbaye d’Orval

"Une des gloires de l’art luxembourgeois et de l’art d’Orval"

Par Edouard Hizette (Florenville)

Autoportrait (A. Namur, Notice sur Abraham Gilson..., 3e éd.)À partir de 1758, l’abbaye d’Orval était en pleine reconstruction sur base des plans du célèbre architecte Laurent-Benoît Dewez. Cyprien Merjeai, un ami luxembourgeois d’Abraham Gilson, a décrit avec soin dans "Voyages curieux et utiles, Bibliothèque nationale de Luxembourg", toutes les peintures de frère Abraham qui décoraient l’abbaye et en particulier, la nouvelle abbatiale Saint-Bernard. Peintures qui seront perdues lors de l’incendie de l’abbaye par les révolutionnaires français en 1793.

Au 19e siècle, l’ouvrage du docteur A. Namur donnait aussi un très bel aperçu des œuvres de frère Abraham.

Dans la première moitié du 20e siècle, le docteur arlonais, Jean-Louis Hollenfeltz, préparait une étude approfondie concernant frère Abraham. Lâchement abattu par les Nazis en août 1944, il n’eut pas le bonheur de terminer son travail. Cependant, on lui doit cette louange adressée au moine-peintre: "une des gloires de l’art luxembourgeois et de l’art d’Orval".

Dans les revues "Le Pays gaumais" du "Musée gaumais" de janvier-juin 1952 et janvier-décembre 1953, M. Henri Jacob analysait avec beaucoup d’à-propos la vie et l’œuvre de ce peintre atypique et a fourni un important catalogue des œuvres du frère.

En 1999, à l’occasion de la commémoration du 190e anniversaire de la mort de frère Abraham, le CAHF (Cercle archéologique et historique de Florenville) en accord avec l’administration communale a fait poser une plaque commémorative sur une façade de la mairie rappelant que le frère avait passé les dix dernières années de sa vie à Florenville.

En 2009, à l’occasion du bicentenaire de la mort de frère Abraham, le "Musée gaumais" de Virton a organisé une exposition de ses œuvres dont il a été édité un très précieux catalogue par l’imprimerie Michel frères à Virton.

Huile sur toile 220X120 cm - Multiplication des pains et des poissons - Eglise Saint-Grégoire à Stenay (France)Enfance et adolescence

Jean-Louis Gilson est né le 8 octobre 1741 à Habay-la-Vieille. Il était le troisième fils de Pierre Gilson, maréchal-ferrant, et de Marie-Françoise Warnimont. Son frère cadet, Jean-Henri, a passé toute sa vie aux côtés de son frère Jean-Louis. La famille est probablement d’origine anglaise: les Wilson. S’étant établis dans le Hainaut, les Gilson firent partie de ces familles qui vinrent repeupler le duché de Luxembourg suite aux ravages de la guerre de "Trente Ans" et qui trouvèrent du travail grâce aux usines métallurgiques. Jean-Louis reçut une éducation soignée et cultiva tôt l’amour du beau.

L’Ermitage du Bizeux

En 1765, les deux frères quittèrent la maison paternelle et menèrent une vie d’ermite dans la forêt près de Marbehan à l’ "Ermitage du Bizeux". Là, Jean-Louis s’est fait appeler frère Abraham et Jean-Henri, frère Jérôme. Bizeux viendrait de toile "bise". Près de l’ermitage, deux fois l’an, se tenaient d’immenses foires où des marchands ambulants installaient leurs boutiques. À cette époque, le livre des comptes de l’abbaye d’Orval signalait un premier contact avec le peintre pour des décorations de cadres.

Les deux frères Gilson entrent à Orval

En 1771, frère Abraham avait 30 ans. Il entra avec son frère à l’abbaye d’Orval. Le père abbé découvrit très vite les talents du peintre et lui confia un atelier de peinture où des élèves travaillaient sous sa conduite. L’abbé l’envoya alors à Anvers pour perfectionner son art. Il y découvrit Rubens et imita le maître anversois dans certaines toiles.

En 1776, il s’inscrivit à la "Kunstakademie" de Düsseldorf pour un séjour de huit mois. Il y remporta un premier prix de composition avec la peinture qui se trouve actuellement au "Musée gaumais" de Virton: "Adam et Eve pleurant Abel". Joseph Fratel le Vieux, né à Épinal et juriste ayant abandonné le droit pour la peinture, enseignait à la "Kunstakademie" de Düsseldorf. Voici l’éloge qu’il faisait de frère Abraham: "La perle des religieux. Le frère des frères".

De retour à l’abbaye, les livres de compte signalent que la production du frère fut intense. À ce moment, au sommet de son art, il décora de ses nombreuses toiles l’abbatiale Saint-Bernard en pleine construction.

Destruction d’Orval le 23 juin 1793.

Emmenés par le général Loison, les soldats français incendièrent l’abbaye d’Orval le 23 juin 1793. Le feu consuma tout: l’abbatiale avec les peintures de frère Abraham, le monastère et les forges. Les moines s’enfuirent dans leur refuge de Luxembourg. Abraham et son frère Jérôme séjournèrent alors à l’abbaye bénédictine de Neumünster dans le Grund, là où coule l’Alzette. Frère Abraham ne resta pas inactif. Il décora de ses toiles les salles, les cellules et le réfectoire de l’abbaye.

Peinture murale - Demande d'aumône - Pizzeria Onesto, 11 rue du Nord à LuxembourgDe plus, il se lia d’amitié avec un habitant de Luxembourg, Cyprien Merjeai. Bachelier en droit de l’université de Louvain, Cyprien habitait 11 rue du Nord à Luxembourg. Quelque peu désœuvré, il passait son temps à écrire ses visions et ses souvenirs. Sans doute pour faire plaisir à son ami, frère Abraham exécuta des peintures murales sur quatre murs d’une chambre basse du rez-de-chaussée de sa maison, représentant de jolies scènes pastorales. On y découvre des thèmes comme la richesse et la pauvreté, la famille, le calme de la nature, le farniente et la musique. Aujourd’hui, ces peintures existent toujours. Elles furent restaurées aux frais de l’État luxembourgeois. Cette maison héberge actuellement la pizzeria "Onesto" où les clients mangent en côtoyant les pastorales de frère Abraham.

En 1795, les Français s’emparèrent de Luxembourg et forcèrent les moines à se réfugier au prieuré de Conques, près d’Herbeumont. En 1796, sur ordre du Directoire, la communauté des moines fut dissoute et sécularisée.

La Brouque

Après deux ans d’errance et avec leurs économies, les deux frères Gilson achetèrent en 1799 à Florenville une maison, dite "La Brouque". Pour améliorer leur quotidien, frère Abraham exécuta de nombreuses commandes qui décorent encore de nos jours plusieurs églises gaumaises et françaises. De même, il prit en pension des élèves et reconstitua un atelier de peinture.

Johann Anton Ramboux (1790-1866)

Son plus célèbre élève fut Johann Anton Ramboux, originaire de Trèves. Son père provenait de la Savoie et sa mère d’une ancienne famille d’orfèvre trévire. Johann Anton arriva à Florenville en 1807, à l’âge de 17 ans. Il y séjourna quatorze mois. Il réalisa un portrait très original de son maître, portant le chapeau haut de forme et la redingote, accompagné de son chien Azor. Plus tard, Ramboux se perfectionna à l’atelier de Jacques-Louis David à Paris. Puis, il fit deux très longues errances en Italie avant de devenir le conservateur du Wallraf-Richartz Museum de Cologne. Il décéda à Cologne en 1866, victime du choléra.

Crucifixion en gloire - Peinture sur l’arc du choeur - Eglise Saint-Pierre à Izel

Il existe toujours à Florenville un poste de garde appelé "La Poivrière". Ce bâtiment construit en pierre faisait partie des nombreuses redoutes prévues sur la rive gauche de la Semois. Elles devaient défendre la frontière septentrionale de la Champagne et étaient l’œuvre des ingénieurs de Louis XIV. Au traité d’Utrecht de 1715, elles devinrent obsolètes. Lorsqu’un siècle plus tard, frère Abraham s’installa à Florenville, il est possible que ce bâtiment inoccupé lui ait servi d’atelier d’été pour ses élèves.

Abraham Gilson décéda le 16 janvier 1809 à l’âge de 68 ans. Voici le texte gravé sur sa pierre tombale qui se trouve aujourd’hui dans le cimetière conventuel de l’abbaye d’Orval, mais initialement dans le cimetière entourant l’ancienne église florenvilloise: "Ci-gît, Abraham Gilson, frère convers de l’abbaye d’Orval, il fut peintre célèbre et son noble talent décora cette église, artiste bienfaisant, modeste et vertueux, religieux austère, il vécut en bon frère et mourut en saint père le 16 janvier 1809. Requiescat in pace!"

Edouard Hizette
Ancien Administrateur général du CAHF (Cercle Archéologique et Historique de Florenville)
Florenville, le 3 octobre 2012

Possibilité de conférence avec diapositives concernant frère Abraham Gilson. Tél.: 061/31.35.89 –
E-mail: edouard.hizette@skynet.be

Illustrations:
(1) Autoportrait (A. Namur, Notice sur Abraham Gilson..., 3e éd.)
(2) Huile sur toile 220X120 cm - Multiplication des pains et des poissons - Eglise Saint-Grégoire à Stenay (France)
(3) Peinture murale - Demande d'aumône - Pizzeria Onesto, 11 rue du Nord à Luxembourg
(4) Crucifixion en gloire - Peinture sur l’arc du choeur - Eglise Saint-Pierre à Izel