''Il paraît que je serai un des plus jeunes pères abbés'' lance le Père Benoît. Avant d'ajouter, philosophe: ''Partout où je passe, je suis le plus jeune.'' Ainsi, il avait à peine 19 ans lorsqu'il a fait son entrée, à Leffe, chez les Prémontrés.
A la fin de ses humanités, ce jeune homme originaire de la région montoise a ressenti un appel intérieur. Durant deux années, il va suivre des cours de philosophie à Louvain-la-Neuve avant de pousser la lourde porte de chêne massif de l'abbaye de Leffe. L'accueil est chaleureux. ''J'ai eu le coup de foudre. J'étais dans l'abbaye depuis même pas une heure que je savais déjà que c'était là que je vivrais.'' Benoît Carniaux avait trouvé non seulement un lieu de vie mais aussi une ''nouvelle'' famille. Tout s'enchaîne: il entre comme novice, suit des études théologiques avant d'être ordonné prêtre. ''J'ai été bouche-trou'' précise le Père Abbé. Entendez que pendant plusieurs mois, il est allé de paroisse en paroisse effectuer, en fonction des besoins, des remplacements. Il se retrouve dans des paroisses du diocèse de Liège mais aussi de l'archevêché de Malines-Bruxelles.''Dans de telles conditions, c'était impossible de s'attacher aux personnes par contre j'étais toujours dans la découverte.''
Le Père Benoît poursuit ses études. Aujourd'hui, il enseigne la théologie à l'IET et tente de mettre la dernière touche à une thèse qui tourne, selon son auteur, ''autour de la question des genres.'' ''Terminer cette thèse est une véritable gageure mais je vis d'espoir...'' ajoute le doctorant. Il travaille avec la philosophe canadienne Judith Butler, grande inspiratrice de la réflexion sur les genres avec pour maître à penser le philosophe Hegel.
Longtemps, le Père Benoît s'est encore occupé de la bibliothèque de l'abbaye avant de devenir le Prieur de la communauté. Le Père Prieur, c'est l'équivalent du vicaire général, le bras droit du Père Abbé. Il a ainsi pu profiter de l'expérience du Père Bruno. ''De mon prédécesseur, explique le nouveau Père Abbé, j'ai appris la fraternité, l'humilité.''
Le Père Bruno a souhaité démissionner de ses fonctions quelques mois avant ses 75 ans et permettre d'organiser l'élection de son successeur en totale quiétude. Son successeur étant désigné, le Père Bruno peut préparer ses bagages. Il a décidé de s'accorder un temps sabbatique. Il part pour le sud de la France, il va vivre en Provence à l'abbaye Saint-Michel de Frigolet, communauté de Prémontrés. Il y passera quelques mois avant de décider d'un lieu de vie pour passer sa retraite. Ce ne sera pas Leffe, c'est une certitude. Un Père Abbé ne se retire pas dans l'abbaye qu'il a dirigée. Leffe accueille ainsi depuis plusieurs années maintenant l'ancien Père Abbé de l'abbaye de Tongerloo, autre lieu Prémontré.

Leffe, ''lieu d'ancrage'' de 17 pères
La communauté de Leffe est constituée de chanoines réguliers qui vivent selon la règle de saint Augustin. Tous sont appelés à devenir prêtre. Ils sont au service de la communauté mais aussi des paroisses. Plusieurs chanoines réguliers de Leffe officient dans les paroisses des alentours. Ils sont encore aumôniers dans les hôpitaux, chargés de cours, se chargent de l'accompagnement spirituel... ''Le Père Abbé est lui un père pour ses frères tout en étant un frère parmi les autres, c'est là tout le paradoxe'' souligne le Père Benoît. Il s'agit pour lui d'être attentif aux membres de la communauté, à ce que chacun vit. Une communauté très jeune puisque la moyenne d'âge est de 30 ans. Et inutile de préciser que chacun a sa personnalité, son tempérament. Leffe est actuellement ''le lieu d'ancrage'' pour reprendre l'expression du Père Benoît de 17 pères dont quatre sont en formation. Un dix-huitième devrait arriver toute prochainement. ''C'est enrichissant'' ponctue le Père Benoît.
Une des spécificités de cette abbaye des bords de Meuse est son fonctionnement en collégialité. Il s'agit encore pour le Père Abbé de donner l'impulsion, la direction qui sera celle des Prémontrés dans la vie au quotidien, dans les contacts avec l'extérieur... Tout en veillant bien sûr à un équilibre entre le spirituel et l'humain. Le chapitre de maison permet à tous ceux qui vivent à Leffe de se retrouver régulièrement et d'organiser la vie commune.
Le Père Abbé est lui désigné lors d'un scrutin: chacun a ses chances mais personne ne mène une campagne de séduction en vue de récolter un maximum de voix! ''Je savais que je pouvais être désigné par mes frères comme chacun d'entre nous d'ailleurs. En votant pour moi, ils ont pris la décision selon leurs profondes convictions. Je n'ai pas de programme de gouvernement mais c'est certain, il y aura beaucoup de consultations.''

Un grand voyageur? Pas vraiment!
Le Père Benoît fait partie de ces personnes discrètes qui aiment écouter les autres. Des contacts devraient avoir lieu avec les autorités locales: le nouveau Père Abbé souhaitant que l'abbaye de Leffe soit bien présente dans le tissu local dinantais qu'elle puisse encore mieux répondre aux exigences actuelles, aux demandes. Le Père Abbé pourrait être aussi un bâtisseur. De mai à septembre, les pèlerins en chemin vers Compostelle sont nombreux à demander l'hospitalité à l'abbaye. Beaucoup sont accompagnés d'un animal. Un espace pour les amis à quatre pattes des pèlerins pourrait être aménagé. Leffe a déjà accueilli des chiens bien sûr mais, plus original, un âne!
Si le Père Benoît aime accueillir ces hommes et ces femmes qui traversent l'Europe à la force des mollets, sachez que le nouveau Père Abbé ne se définit pas comme, étant lui, un grand voyageur. ''Je suis toujours réticent au moment de partir mais par contre très heureux de revenir. Une fois que je suis sur place, j'en profite.'' Pour sa thèse, il prend régulièrement la direction du Canada. Il séjourne aussi fréquemment en Italie pour des assemblées religieuse.
Dernière confidence, le Père Benoît est bien sûr heureux de vivre dans cette abbaye des bords de Meuse. Une abbaye connue bien au-delà de nos frontières pour sa bière qu'il ne déguste que très rarement: ''Je ne bois pas d'alcool, uniquement de la limonade...'' Une confidence qui surprend souvent.
Le Père Benoît recevra la bénédiction abbatiale le 21 septembre prochain de Mgr Vancottem. Cela se passera à 10h30, à l’abbaye de Floreffe, beaucoup plus spacieuse, une abbaye fondée par saint Norbert de Xanten lui même fondateur de l’Ordre des Prémontrés.
Christine Bolinne