La fête de la Toussaint et le jour de commémoration des défunts nous invitent à vivre un temps de souvenir; souvenir de ceux et celles qui nous ont quitté et qui vivent, nous le croyons, dans la pleine lumière de Dieu. Nos visites au cimetière ne doivent-elles pas également nous faire réfléchir sur la manière dont nous vivons sur cette terre. A ce sujet, je me permets une petite parabole inspirée d’une histoire entendue en un lieu dont je n’ai plus souvenance.
Un jour, au pied de l’église de La Sarthe, un homme nommé Tanasse, demanda au diable de lui donner un domaine. Le diable lui dit: ''viens au lever du soleil, tu partiras et tu marcheras tant que tu voudras. Toute la terre que tu auras englobée dans ta marche t’appartiendra, à la seul condition d’avoir regagné ton point de départ avant le coucher du soleil''. Quelle aubaine! Quelle immense surface il allait s’octroyer, entre 4h40 et 20h50, lui qui savait si bien marcher! Il allait pouvoir s’installer pour la vie dans ce lieu de rêve où tout lui appartiendrait, légalement mérité. Au lever du soleil, le diable et quelques diablotins étaient au rendez-vous, Tanasse aussi... ''Tu peux y aller'' dit le démon. Et Tanasse partit à toute vitesse... ''Il faut voir grand, pensait-il, rien n’est trop grand pour moi. En une journée, que ne ferais-je pas? C’est plus qu’il n’en faut!''
Une heure plus tard, il s’arrêta au Bois du Gay à Arsimont pour se reposer un peu et il était loin d’être fatigué... Il prit la route vers Falisolle, s’aventura jusque Vitrival et décida de se mettre en marche vers Villers-Poterie d’où il pourra englober dans sa marche la ville de Gerpinne ... La journée avançait. Tanasse, intelligemment, avait déjà obliqué pour prévoir le retour dans le temps imparti. Tout était prévu. C’est alors qu’il aperçut sur sa droite, un panneau indiquant ''Walcourt vaut le détour''; il s’y rendit. Au pied de la magnifique basilique, il vit une publicité: ''Venez vivre une journée de pêche à l’étang de Fontenelle''. ''Avec mon avance, se dit-il, je peux largement me permettre ce crochet. J’en tirerai grand bénéfice. Un étang entier! '' Pourtant, ses jambes commençaient à s’alourdir. Mais il se dit: ''Allons, cela devient dur mais je ne peux pas laisser passer cela. C’est mon avenir qui est en jeu...'' Quand il eut entouré la pièce d’eau, il eut un pincement au cœur. Le soleil rougissait déjà. Il se mit à courir. Jamais il n’aurait pensé en partant ce matin, qu’il pouvait être si difficile de simplement mettre un pied devant l’autre...
Il vit enfin le clocher de l’église de La Sarthe, très petit, comme inaccessible, lui, pourtant à portée de la main ce matin... Il se prit à maudire ceux qui l’avaient entraîné si loin!... Il serra les dents. ''Je dois terminer ce que j’ai entrepris. Mon honneur est en jeu...'' Le chef des démons et ses acolytes regardaient le soleil tout rouge dont la moitié était déjà passée derrière la Sambre. Ils regardaient aussi le petit point qui grossissait vers eux. Dans un dernier effort, au bord de l’épuisement extrême, Tanasse se jeta sur les marches du parvis au moment où le soleil disparaissait. Dans un brouillard épais, il entendit le diable proclamer: ''Bravo tu as gagné beaucoup de terre!'' Tanasse ne voyait plus rien... Il murmura: ''J’ai tout essayé, j’ai tout donné...'' et ses yeux se fermèrent pour toujours. Le démon ordonna à ses diablotins: ''Enterrez-le dans le petit carré de terre en friche, avec les autres, ceux qui ont essayé avant lui''. Ne sommes-nous pas parfois comme Tanasse à courir après le miroir aux alouettes! Que les fêtes qui approchent nous remettent en question sur les priorités que nous mettons dans notre vie.
Très fraternellement,
Le doyen Philippe