L'idée de départ avait beau être exceptionnelle jamais, Yves Boccart n'aurait imaginé le succès de ces spectacles et leur durée dans le temps. Yves Boccart était, en 1980, étudiant infirmier à Saint-Servais, à l'école Ave Maria. Avec d'autres, avec des professeurs notamment, il s'est lancé. Son idée: monter un spectacle avec les pensionnaires. Au départ, les religieuses qui géraient les lieux étaient réticentes. Le fait qu'il s'agissait de jouer la Passion a levé les derniers obstacles. Professeur durant de nombreuses années, Bernard Delaive était dans le noyau de départ. Il se souvient: ''C'était une époque où les personnes qui entraient en psychiatrie n'en sortaient plus.'' Des années où les malades hommes vivaient à Dave. Et les femmes au Beau-Vallon. Imaginer un spectacle qui mettent en scène des hommes et des femmes a été une autre difficulté.
Ce projet - et c'est toujours vrai aujourd'hui - a été accueilli avec un réel enthousiasme par les patients mais aussi par les spectateurs. Aujourd'hui,les acteurs reviennent dans ces deux lieux que sont Dave comme Saint-Servais mais aussi dans d'autres institutions elles aussi partenaires, pour des courts séjours. La manière de soigner a changé.

Se dépasser
Le théâtre, c'est une manière de se dépasser. Une jeune femme souffrant d'un grave problème de mémoire a ainsi réussi à mémoriser les quelques phrases de son rôle. Une véritable victoire pour elle comme pour l'équipe. Chaque acteur s'est vu attribuer un rôle en fonction de ses capacités: certains sont figurants, d'autres ont un petit rôle, d'autres encore ont un rôle bien plus important. Et ils le tiennent avec talent. ''Nous ne sommes pas des montreurs d'ours. Notre démarche est humaine et humaniste, elle n'est en rien militante.'' Bernard Delaive de poursuivre avec une comparaison. ''Je mets en parallèle ce Jésus qui dérange par ce qu'il est, par ce qu'il dit. Sa vie semble un échec et pourtant elle débouche sur tant d'espérance. Les personnes qui souffrent d'un handicap dérangent aussi par ce qu'elles sont.'' Si le choix s'est porté sur la Passion, c'est pour sa valeur théologique. ''Nous voulons vivre les choses. Et ce que l'on a compris, on ne peut que le partager.''
Le premier spectacle a été donné avec des pensionnaires du Beau-vallon et de Dave. Il s'agissait d'un spectacle de mime avec deux lecteurs, dont Bernard Delaive. Les moyens sont limités, pas de subsides... Alors, il faut faire preuve d'imagination. Ainsi le tissu utilisé pour confectionner les pèlerines des Frères de la Charité a servi pendant tout un temps pour confectionner les rideaux en fond de scène. Les cubes qui sont déplacés, empilés en fonction des besoins de la mise en scène sont eux en frigolite renforcés par les anciennes camisoles de force. Le texte est lui constitué à environ 90% des évangiles. L'abbé André Wenin ayant rédigé quelques textes pour assurer la transition.

On paie en sortant
Aujourd'hui, les Pèlerins de Bouge ont leur propre matériel: la scène, des spots pour l'éclairer... Et ce grâce à la générosité des spectateurs. Le prix d'entrée pour les spectacles donnés à destination des écoles est de 5 euros. Pour les autres représentations, Bernard Delaive aime à dire: ''l'entrée est gratuite, on paie en sortant.'' Et chacun glisse dans le chapeau la somme qu'il veut. ''L'argent ne peut pas être une exclusion.''
Autre particularité des Pèlerins de Bouge, ils ne se produisent que là où des familles sont prêtes à accueillir les membres de la troupe. La troupe est sur place dès la fin de matinée et les acteurs et les actrices passent le temps qui précède la représentation dans des familles. Ensemble, ils prennent le repas, partagent sur la vie... En institution psychiatrique, les résidents se retrouvent souvent seul. Au bout de la journée, les personnes qui accueillent ont l'impression qu'elles ont reçu bien plus que ce qu'elles ont donné! Les personnes intéressées peuvent être rassurées, les acteurs et les actrices qui sont ainsi reçus dans les familles sont des personnes stabilisées qui savent se gérer. ''Nous avons eu un seul accident au cours de ces dernières années: une indigestion. On ne peut pas dire que cela soit propre à la maladie mentale! '' Bernard Delaive est toujours ému lorsqu'il raconte encore la réaction d'un adolescent dont la famille avait partagé du temps avec quelques uns des artistes: ''Avant, je disais d'eux qu'ils étaient des gogols. Je les ai rencontrés et c'est terminé, je ne peux plus dire des choses aussi horribles.''
Le mystère de la Passion est présenté durant le Carême. Le reste de l'année, mais surtout aux alentours de la fête de saint François, les Pèlerins de Bouge se retrouvent pour le second spectacle qui a pour titre François la richesse d'un Pauvre. Joué principalement dans des granges, cette représentation ne reproduit pas toute la vie du saint mais quelques unes de ses rencontres. Saint François d'Assise étant l'ami des animaux, le spectacle se termine avec la présence d'animaux sur scène, des canards notamment.
Le mystère de la Passion sera joué, ce vendredi 5 avril à 13h30 (pour les écoles et les institutions) et ce samedi 6 avril à 19h en l'église d'Evrehailles.
Si vous souhaitez accueillir ces deux spectacles: Bernard Delaive: 0496/10.36.86 - secretariat@pelerinsdebouge.be
Photos: Véronique Chassagne