L'abbé Achille Barvaux est installé sous la véranda de la maison de retraite dans laquelle il vit depuis maintenant quelques années. On le sent impatient de pouvoir raconter sa longue vie. Mais attention, l'abbé Barvaux a choisi ce qu'il veut bien raconter! Si ses jambes sont fatiguées et ne le portent plus, sa mémoire est elle intacte. Et sans hésitation, il donne sa date de naissance mais aussi celle de ses trois frère et soeurs. Une soeur cadette, elle a dix ans de moins, qui téléphone chaque jour à son ''grand'' frère. Au centre de la conversation: l'actualité qui est ainsi passée au crible.
Originaire de Dailly, dans l'entité de Couvin, où il a vu le jour le 1er juin 1917, il est resté fidèle à sa région puisqu'il vit, aujourd'hui, à quelques kilomètres de là, à Cul-des-Sarts. Achille Barvaux débute sa scolarité ''à l'école du maître'' comme il dit avant d'être interne au collège de Chimay. Après la rhéto, il s'inscrit au séminaire de Floreffe où il suit les cours de philosophie. Il rejoindra ensuite le séminaire pour la théologie. Le centenaire reste discret sur la naissance de sa vocation. Se contentant d'un... ''Ça vient tout seul.''
''J'ai été ordonné en 1943, le jour de la fête de saint Jacques. Nous étions dix-neuf.'' L'évêque de l'époque, Mgr Charue, le nomme vicaire à Philippeville. Il est aussi désigné comme professeur de religion à l'athénée. Il y a restera jusqu'à ses 65 ans et l'heure de la retraite.

Une affaire de nids de poule
L'année suivante, Mgr Charue souhaite que le jeune abbé Barvaux exerce son ministère à Roly. Bien des années se sont écoulées et l'abbé Barvaux garde en mémoire ce qu'il a répondu à Mgr Charue. ''Je lui ai dit: Ok pour Roly mais alors j'arrête d'enseigner à Philippeville: je ne voulais pas combiner les deux. Pour relier Roly à Philippeville, il y avait trois routes différentes mais toutes pleines de trous. Il m'aurait fallu une nouvelle voiture tous les ans!'' En racontant les faits, l'abbé Barvaux se croise les bras. Sa détermination n'a pas faibli...
L'année suivante, Mgr Charue sollicite de nouveau le jeune prêtre. Il ne lui propose plus Roly mais Villers-deux-Eglises tout en cumulant la charge paroissiale avec ses fonctions d'enseignant. L'évêque ajoute prudemment voire ironiquement: ''Nous sommes allés voir la route et elle est en bon état.'' Pas de quoi déconcerter l'abbé Barvaux. ''Je lui ai répondu que je préférais aller voir moi-même. Il avait raison. Les deux localités étaient proches et la route était en bon état! En cas de verglas, je pouvais même aller donner cours à pied, pas question de m'absenter.''
Initialement, l'abbé Barvaux devait rester deux années à Villers-deux-Eglises, il y restera plusieurs dizaines d'années. Il y était arrivé dans une ambiance tendue. Lors de la première guerre mondiale, de nombreux habitants du village avaient trouvé la mort. En 1940-1945, il n'y avait heureusement eu aucune victime. Reconnaissants, les habitants de Villers-deux-Eglises voulaient ériger un monument à saint Pierre, le saint patron du village. ''Tout le monde s'en mêlait et rien n'avançait'' confie le prêtre. Sa mission était de pacifier les choses. Et il arriva à son objectif. ''Lorsque l'évêque a voulu de nouveau me déplacer, je lui ai répondu que si je partais, tout allait recommencer. Lui, il voyait les choses de l'extérieur.'' Il restera finalement soixante-deux ans dans cette paroisse. Et le jour de ses 100 ans, ses anciens paroissiens viendront le saluer et lui offriront une photo de l'église. Mgr Vancottem était aussi présent pour féliciter le seul prêtre centenaire du diocèse.
Le prêtre a encore aidé à la relance de la marche, la Saint-Pierre bien sûr. Au début, ils étaient deux marcheurs! Le curé avait pris l'habitude de les inviter à siéger à ses côtés lors de la messe marquant les festivités. Mais très vite, il a dû abandonner cette pratique... Les marcheurs ont été très rapidement plus d'une centaine.

''J'ai toujours eu mon franc-parler''
A 100 ans, l'abbé Achille Barvaux reste le même. ''J'ai toujours eu mon franc-parler même avec un évêque.'' Aujourd'hui, il reste convaincu que ce franc-parler lui a valu de ne pas monter en grade comme il dit. Cela ne semble pas l'affecter. L'œil rieur, tel un gamin heureux de commenter sa dernière bêtise, il aime raconter cette anecdote. ''Un jour, j'ai transporté l'évêque coadjuteur dans ma voiture. Il avait mis sa mitre sur ses genoux et elle semblait bien l'embêter. Nous étions dans la période du concile Vatican II. En montrant la mitre, je lui ai dit que cela allait bientôt être terminé et qu'il allait pouvoir porter la casquette comme tout le monde.... Je n'avais pas froid aux yeux.''
Le doyen des prêtres du diocèse aime encore à croire que ce franc-parler lui a permis de ne pas changer de paroisse. ''Je n'ai jamais désiré être à tel ou à tel endroit. Si ils ont choisi de me mettre là bas et bien j'y reste, c'est tout.''
Cet obstiné oserait-on dire ce têtu était aussi plein d'imagination. Ainsi, emmenant, en 1946, des jeunes à Lourdes, il avait fait fi des différentes réglementations en vigueur durant l'après guerre. Il avait fait voyager 100 kg de farine dans une malle à vêtements. Farine qui, sur place, avait été utilisée pour faire le pain.
''Ma vie a été un roman'' aime-t-il à dire. Une longue vie pour laquelle, il reste convaincu qu'il a tout appris à l'école maternelle et à l'école primaire. ''Le reste, c'est du remplissage'' ponctue-t-il toujours avec la même assurance. Bien des années plus tard, il se souvient de ses maîtres, de ces instituteurs qui accordaient de l'importance à l'ordre. ''Aujourd'hui encore, je ne laisse rien traîner. Et j'ai 100 ans.''
Christine Bolinne