Robert André est devenu prêtre et pas meunier

abbe Robert Andre.jpgL'abbé Robert André, aujourd'hui à la retraite, est un conteur infatigable. Dans son livre, en wallon et en français, qui a pour titre "Sol pîre di molin al pîre d'âté" ou "De la pierre de moulin à la pierre d'autel" il retrace sa vie. Une vie où l'on retrouve, au fil des pages, le dur mais joyeux labeur des moissons et autres fenaisons. Les années passées dans le moulin familial avec la poussière de farine qui vous prend à la gorge. Lui l'enfant de la belle campagne de Benonchamps évoque avec émotion le séminaire de Bastogne et l'apprentissage de la vie de pensionnaire. On suit encore Robert André dans sa vie au Séminaire de Namur où il se forme à la prêtrise.

"Je n'aurais pas accepté de vivre en ville. J'ai besoin de la campagne, de voir loin..." Instantanément le regard de l'abbé Robert André traverse la grande baie vitrée du living. Les champs sont là avec, au loin, la butte du calvaire. L'Ourthe a tracé son lit sinueux au bout du jardin. L'abbé André couve du regard ce petit paradis terrestre dans lequel il se sent si bien juste avant de plonger, avec un plaisir évident,  dans ses souvenirs.
Deuxième d'une belle grande famille - ils étaient 10 enfants, 5 garçons et 5 filles - , il a choisi de raconter sa vie et en même temps celle de ses parents et de ses grands-parents, meuniers eux aussi. Sa vie, c'est le village de Benonchamps où il connaît chaque arbre, chaque dénivelé de terrain. Cette campagne était son terrain de jeux, le lieu de toutes les découvertes, de toutes les expéditions. Robert André raconte encore la guerre avec les nombreuses attaques aériennes à l'origine de bien des décès. L'émotion et la pudeur sont étroitement liées lorsque lui, le bourru au grand coeur, décrit les jours et les nuits passées dans les caves. Il y avait toujours plus de monde dans ces caves. Tous avec la peur rivée au ventre. La vie de Robert André est intimement liée à celle du moulin familial qui pendant la guerre permettra à tellement de familles de moudre le grain - pas toujours d'excellente qualité - et de faire le pain. Ce moulin qu'il connaît quasi pierre par pierre. Il décrit ainsi le rhabillage des meules, une opération longue et dangereuse: il s'agissait de tout démonter, de faire un peu de ménage des pièces et il était déjà temps de tout remonter. Un moulin qu'il a toujours aimé et ce même si les journées de travail démarraient très tôt pour se terminer très tard.

Nuit d'orage loin de la maison

L'arrivée au séminaire de Bastogne est décrite avec, là encore, beaucoup d'émotion. Comment ne pas frémir avec ce jeune enfant qui quitte sa famille pour se retrouver dans un dortoir avec des dizaines d'autres enfants. Tous aussi effrayés par l'orage qui se déchire au dessus Bastogne. La plume de Robert André s'anime pour décrire les retours à la maison pour de rares jours de vacances, la fête de gymnastique sur la place du Carré et les examens avec l'heureuse perspective de, cette fois, de belles et grandes vacances. "Je me suis bien adapté à la vie de pensionnaire. Plus tard lorsque je deviendrai prêtre, j'ai très vite su que ce n'était pourtant pas ma vocation de vivre en communauté. Je suis fais pour vivre seul."
Robert André connaissait les efforts financiers que ses parents devaient faire pour payer les études et le pensionnat. "Si j'étais allé à l'université, pour eux, cela aurait signifié des sacrifices insurmontables. Je me suis dit que le sacerdoce c'était très bien pour moi. Je savais aussi que cela ferait plaisir à mes parents."
Et c'est comme ça qu'il est entré au Séminaire de Namur. Dans son livre, il raconte la vie à "l'usine à curés", le  nom du Séminaire de Namur à cette époque. Il y publie la première photo en soutane. Et avec le commentaire qui l'accompagne: "Avec la soutane sur le dos. La métamorphose est tout de même assez saisissante". Il y dépeint les professeurs dont le chanoine Koerperich : "il provient d'Athus et il est sérieux comme un pape. Raide comme un poteau, il a sûrement avalé une baleine de parapluie."
Ce langage, ce style brut, brut de décoffrage comme il aime à le qualifier c'est celui de l'abbé André et depuis toujours. Il était donc normal de le retrouver dans son livre.
Partout où il est passé, il a fait preuve d'une belle énergie. Il s'est occupé du scoutisme, ouvert une maison de jeunes. Des paroisses en milieu rural où il a été très actif dans les clubs de 3X20 notamment. "J'aimais bien cette période où j'avais des réunions tous les soirs et où on fumait comme des dragons." Plus de 50 ans après son ordination, l'abbé André n'a jamais regretté sa vie. "Je n'aurais jamais accepté la vie en ville. Dans une paroisse rurale, j'aimais la relation de proximité qui s'installait. Je tutoyais les gens et j'appelais chacun par son prénom. Je réussissais à être à côté des gens et pas au dessus d'eux." Le visage de l'homme d'Eglise redevient grave voire triste quand il évoque la perte de la foi chez certains. "Ça me fait mal de constater que l'on ne sait plus toujours, aujourd’hui, faire passer la Bonne Nouvelle. Mon moteur, c'est Jésus Christ. C'est lui qui me motive. Je ne l'ai pas rencontré comme Saint Paul sur le chemin de Damas mais je sais qu'il est là chez les plus petits comme les plus âgés."

Robert André.JPG Ecrire? Oui, mais dans l'urgence
Ecrire? Il aime depuis toujours. Et ce qu'il apprécie surtout, c'est écrire dans l'urgence. "Nous recevions le sujet de la dissertation quinze jours à l'avance. Je rédigeais le texte définitif au dernier moment. Je remettais mon texte sans l'avoir relu et j'ai toujours obtenu de bons résultats. Et en rhéto, une faute d'orthographe était sanctionnée d'un point en moins.  C'est encore vrai aujourd'hui, je suis incapable d'écrire, en début de semaine, une homélie que je prononcerai à la fin de la semaine. Rien ne sort. Il me faut un peu de stress. »
Ce livre, il l'a rédigé en français et en wallon. Il a voulu y faire figurer les deux éléments phare de sa vie: "Sans la meule du moulin, on ne fait rien, dit-il. La pierre d'autel est elle l'âme du sacerdoce, de mon sacerdoce." L'abbé Robert est aussi le plus heureux des curés quand il peut célébrer en wallon. "Quand je prêche en wallon, je peux avoir des expressions savoureuses, accrocher les gens. On peut mieux les captiver et je peux encore de temps en temps glisser une bêtise ou l'autre...." Et même s'il lit régulièrement des livres de théologie, de spiritualité "car, dit-il, il faut apprendre à voir plus loin que le bout de son nez" il plonge avec délice dans la vie de Toine Culot. "Quand je lis Toine Culot, j'éclate de rire. Après une opération, les médecins se demandaient ce que j'avais à rire comme ça et pourtant ça me faisait mal. Je lisais tout simplement les aventures du héros d'Arthur Masson."
"Sol pîre di molin al pîre d'âté" ou "De la pierre de moulin à la pierre d'autel" un livre qui fleure bon le terroir. Le livre d'un homme qui écrit avec le coeur.

Christine Bolinne

Paru dans la collection "Paroles du terroir". Vous pourrez vous procurer ce livre au Musée de la Parole en Ardenne, 3, rue du Chant d'Oiseaux à 6900 Marche.   Tél: 084/34.45.83.